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#ParlerPourVrai

Photo du rédacteur: Andréanne Tessier infAndréanne Tessier inf


- "Comment ça va?"


Elle entrouvrit la bouche pour répondre le traditionnel " Bien, et toi?", mais aucun son ne sortit. C'était pourtant facile, elle l'avait dit à son chum au réveil, aux enfants ce matin lorsque son grand l'avait questionné l'air intrigué et à son voisin avant d'entrer dans la voiture. Elle l'avait dit des milliers de fois, mais là, elle en était incapable.


Bien sûr, ça n'allait pas du tout. Depuis quelques jours, elle avait en permanence l'impression que la tête allait lui exploser, comme si chaque parole qui lui était adressée, chaque son, menaçaient de faire rompre son crâne d'un trop plein de... un trop plein de tout. Elle était fatiguée, épuisée. Éreintée de faire le cheval jour après jour, raquer de ces heures passées à ramasser, nettoyer, cuisiner. Frustrée de ne plus avoir une minute pour elle. Inquiète de voir le compte de banque baisser, apeurée de voir ceux qu'elle aime tomber malade, anxieuse de ne pas retrouver son emploi quand tout cela serait terminé. Si tout cela finit par finir un jour. La peur que le confinement se poursuive à l'automne la paralysait. Elle ne survivrait pas encore longtemps à ce rythme. Ses enfants, elle les aimait de plein d'amour. Elle les couvait généralement d'affection et prenait plaisir à les faire rire en les chatouillant ou en se déguisant. Mais là, elle n'y arrivait plus. Et elle en avait honte.



Sans comprendre pourquoi, devant un étalage de pâtes alimentaires à moitié dévalisé, elle regarda cette ancienne collègue de travail qu'elle n'avait pas vu depuis plus d'un an et lui répondit: "Non, ça ne va pas. Jusqu'ici j'ai tenu bon, mais là, ça ne va pas. Je trouve ça vraiment dur le confinement."


À sa grande surprise, son interlocutrice lui sourit affectueusement avant de lui dire qu'elle comprenait très bien. Elle lui raconta qu'elle avait eu "un passage à vide" elle aussi la semaine passée. Elle avait passé une soirée à pleurer toutes les larmes de son corps, mais après en avoir parlé à son mari, il s'était occupé des enfants le lendemain pour qu'elle puisse se reposer. Ça lui avait fait du bien et depuis tout semblait plus facile. Son ancienne collègue lui raconta aussi que son mari avait eu le même genre d'épisode au début de la semaine et que même son ado y était passé. Ils en avaient conclu que c'était un peu normal dans la situation et en parlant avec des amis, ils s'étaient rendu compte que c'était pas mal généralisé. "Si tu as besoin de parler, ne te gêne pas. Appelle-moi. Si il y a un moment où il faut se serrer les coudes, c'est ben celui-là".


Elle regarda sa collègue s'éloigner. Étrangement, elle se sentait plus légère. Comme si la pression qui menaçait son crâne d'exploser avait soudainement baissé. Était-ce d'en avoir parlé? Ou peut-être de savoir qu'elle n'était pas la seule. En retournant chez elle, elle dût arrêter l'auto sur le côté de la rue après avoir éclaté en sanglot. Elle resta là de longues minutes à pleurer tout ce qu'elle avait à pleurer, comme si le fait d'avoir mis des mots, d'avoir baissé la pression, permettait enfin d'expier toute sa peur, ses inquiétudes, ses frustrations.


Quand elle rentra chez elle, elle alla rejoindre son chum dans le bureau avant que ses enfants se réveillent de la sieste et lui expliqua comment elle se sentait. Il lui confia que la semaine précédente, il avait passé un avant-midi à pleurer dans le bureau, épuisé de tous ces changements. Puis il prit l'après-midi de congé pour s'occuper des enfants.


Ce soir là, étendue dans le bain pendant que son chum lisait l'histoire aux enfants, les doigts ratatinés d'avoir trop trempé, elle se promit de répondre sincèrement la prochaine fois qu'on lui demanderait comment elle va.




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